Les images qui m’entourent, appellent, elles-même, à des plans nouveaux, il me suffit alors de les ajouter. Chaque association renvoie en écho n’importe quelle voix.
Redistribuer les éléments extérieurs pour déboucher sur un dépaysement, qui invite à poursuivre le jeu où tous les éléments disponibles servent à en évoquer d’autres.
Le déjà vu révèle le jamais vu.
Je joue à créer des appâts, des sortes d’images relais qui provoquent, plus que le perçus, des formes sans terme.
Je veux bien être nomade, traverser les idées, les sujets, les emplois mais toujours privilégier la personnalité du choix, à la personnalité du métier.
Dans cette sphère où Dada est devenue synchrone avec une société qui n’est qu’assemblage d’éléments préfabriqués, la feuille blanche conserve, sans fin, la perspective d’un monde nouveau…
Auteur/autrice : mathieu
l’ombre coriace de nos silhouettes
Mardi 22 mars 2011. La ville est écrasée par un soleil incolore. Une lumière blafarde et aseptisée déroule un ciel artificiel qui révèle peu à peu des créatures solitaires aux contours d’encre.
Les corps fragiles se déploient et s’exposent sans se rencontrer. Chacun se cherche, hésite, fixe l’autre sans vouloir rien laisser paraître de ce qu’il est, ou de ce qu’il croit être.
Douceur des peaux dessinées dans le vide. Pudeur des âmes blanches et chorégraphie des silhouettes graciles découpées au noir. Précision des lignes et du trait.
Je m’approche.
Une femme allongée sur un transat se retourne brusquement en protégeant d’un bras ses yeux aveuglés par les rayons blêmes du soleil. Son corps se compose et se décompose dans de multiples cadres, formant un puzzle géant qui l’enferme. Elle n’arrive pas à me parler, les mots ne sortent pas de sa bouche. Les larges rayures noires et blanches du transat échafaudent les obstacles de notre rencontre et forment des barrières à la langue. Pourtant, je sais qu’elle veut me faire comprendre quelque chose. Sur le monde dans lequel je vis. Je fixe à nouveau cette femme et m’attarde sur le moindre de ses détails.
Dans un des cadres, figée dans l’instant et circonscrite sur le papier, une inscription en lettres épaisses retient mon attention : à l’ombre coriace des silhouettes. C’est une piste. Nécessairement.
Je pars à la conquête des autres créatures, cheminant d’un dessin à l’autre, au milieu de nulle part. Je m’écarte et cherche, entre l’ombre et la lumière, ce que les mots découverts veulent dire, ce que les corps propagent.
Des baigneurs aux corps d’enfants se tiennent au bord d’une piscine imaginée.
Attirée par leurs regards, je m’installe à leurs côtés.
Le sourire en coin de l’un d’entre eux raconte le malaise de la nudité dans les espaces à l’eau de javel. Des adolescents malhabiles prennent la pause pour simuler le confort du maillot de bain. Certains rappellent les danseuses qui s’apprêtent à gagner la scène de l’opéra, corps longilignes en tension, profils graves. D’autres jouent les nageurs désinvoltes mimant grâce et souplesse. Ils ne se connaissent pas, ou si peu, mais tous franchissent bientôt les marches en mosaïque de la piscine pour faire défiler les mêmes longueurs de bassin et avaler la tasse de la même eau. Les couleurs vives des bonnets et des maillots en adhésif éclatent comme des ballons d’hélium pour se disperser ensuite en atomes brillants à la surface.
Un peu plus loin, j’aperçois un banc. Je m’y assieds pour réfléchir.
Deux paires de jambes se mettent à sortir de chaque côté et commencent à se déplacer. Je cherche les corps qui s’y rattachent. Rien. Panique.
A quelques mètres de là, des profils se déplacent sur un passage piéton en lévitation sans se soucier les uns des autres. Une jeune femme saute à pieds joints dans une bouche d’égout, un homme sandwich s’expose sans pudeur, un kangourou me fixe, les pattes accrochées sur deux planches à roulettes. Des méchants de pacotille tentent de rétablir l’ordre. En vain. Chacun joue son rôle. J’essaye de m’échapper de ce scénario faussement léger. Un homme me retient. Il ne me regarde pas mais soulève un morceau du sol et dévoile une cavité sombre. Je m’y engage et pénètre à l’intérieur de l’ombre coriace. A la recherche d’autres silhouettes.
Lignes dessinées au feutre, lèvres écarlates, des portraits d’enfants surgissent soudain et m’encerclent. Chaque partie de leur visage appartient à un autre qu’eux-mêmes. Regards fuyants d’aliénés, mentons proéminents ou rétractés, bouches larges ou effilées. Mon angoisse grandit tandis qu’ils se rapprochent, envahissant progressivement tout l’espace. Leurs pupilles se dilatent, leurs bouches se contractent et sifflent dans mes oreilles, de toute leur force.
Je me recroqueville. Je ferme les yeux. Je ne comprends rien.
Un zèbre passe. Son corps n’en finit pas de s’étirer en longues bandes verticales. Il m’emprisonne. C’est terminé.
Le rideau tombe.
Dans les coulisses, une femme, une autre, n’a rien perdu de la scène. Héroïne d’un drame bourgeois, elle trône sur un large fauteuil, son chien sur les genoux. Elle se démultiplie de minute en minute, perdant progressivement ses cheveux pour exhiber son crâne chauve.
Son corps malade. Immobile et froid.
Son corps en attente d’un rôle. Impassible.
Prise dans l’engrenage d’une orchestration qui m’échappe et me submerge, je n’ai rien d’autre à lui offrir que mon silence. Je reste accrochée à son regard diaphane, piégée et seule. Dévastée par le tourbillon des silhouettes.
L’improbable se produit alors.
D’une voix sans timbre, elle parle.
Elle me parle.
« Tu vas trop vite, me dit-elle, reprends ton souffle et regarde-nous bien tous. Nous ne sommes rien d’autre que des spectres et des visages. Mais derrière l’ombre coriace de nos silhouettes se cache la folie de l’ordinaire. »
Pascale Gatineau